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28 juin 2024
Innovations et défis dans le droit immobilier et la construction

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Christian Petermann, arbitre, avocat et expert en droit immobilier et de la construction, partage son expérience entre la Suisse et le Canada. Dans cet entretien, il explore les défis et innovations auxquels les villes de demain devront faire face, notamment en matière d’infrastructures, de technologies et de normes environnementales. À travers ses observations, il nous invite à réfléchir à l’évolution urbaine dans un contexte global marqué par la durabilité et l’innovation. 

Me Christian Petermann, quelles sont les principales différences entre le droit immobilier en Suisse et au Canada ? 

Le droit immobilier privé suisse (droits réels) partage des similitudes avec le droit privé au Québec (droit des biens) vu leurs origines civilistes (Code Napoléon). Certaines institutions, telle le pari passu (rang hypothécaire partagé par plusieurs créanciers), est demeuré pratique courante au Québec alors qu’en Suisse, elle est tombée en désuétude. 

Le droit public immobilier est également proche, le système québécois bijuridique se distinguant toutefois de la Suisse par la common law. Au Canada, la planification territoriale doit protéger les intérêts des Premières Nations dont les terres sont protégées. En matière d’expropriation, le droit québécois est plus efficace. Il faut moins d’un an pour une vente forcée en cas de non paiement de taxes municipales alors qu’en Suisse, la procédure prévue par l’ORFI peut prendre jusqu’à cinq ans. 

Quels sont les enjeux environnementaux majeurs dans le domaine de la construction ? 

Des deux côtés de l’Atlantique, la conscience environnementale progresse, mais les priorités diffèrent. En Suisse, petit pays à ressources limitées, l’optimisation énergétique est cruciale depuis longtemps. Au Canada, notamment au Québec, l’abondance d’énergie hydraulique maintient les coûts bas. Cela influence les normes de construction : en Suisse, elles favorisent des matériaux à haute performance thermique et des sources d’énergie non fossiles. Depuis la guerre en Ukraine, la transition énergétique s’accélère, soulignant la dépendance européenne aux importations. 

Comment l’économie circulaire et l’auto-suffisance peuvent-elles jouer un rôle dans l’immobilier de demain ? 

L’économie circulaire est un concept prometteur, mais sa mise en oeuvre est complexe. Les constructions actuelles ne sont pas toujours compatibles avec ces principes, en particulier dans les environnements urbains où la densification est privilégiée. La pandémie a révélé une tendance à l’exode urbain, en particulier au Canada, où de nombreuses familles quittent les grandes villes comme Montréal pour s’installer dans des zones rurales. 

En Suisse, cette tendance est plus modérée en raison du manque d’espace habitable, mais le besoin de repenser l’organisation des villes est réel. L’autosuffisance reste un défi, notamment en raison de la réglementation stricte concernant les zones agricoles. Toutefois, il est clair que les villes de demain devront intégrer ces principes pour répondre aux attentes sociétales et environnementales. 

Quelle place occupent les nouvelles technologies dans les évaluations immobilières ? 

Les nouvelles technologies facilitent l’accès aux données et permettent une meilleure évaluation des biens immobiliers. Les outils numériques améliorent les comparaisons, mais leur utilisation nécessite une bonne maîtrise. Les modèles d’évaluation immobilière comme le Discounted Cash Flow (DCF) sont largement utilisés pour planifier les investissements à long terme, bien qu’ils demandent une grande précision et des compétences techniques. La méthode DCF est particulièrement utile pour estimer les infrastructures nécessaires dans les villes de demain, permettant d’évaluer les coûts à long terme d’un projet en tenant compte des flux de trésorerie futurs. Cependant, cette méthode reste peu répandue en pratique, en raison de sa complexité. 

Quels sont les avantages des normes techniques SIA dans la construction durable ? 

Les normes de la Société suisse des ingénieurs et architectes (SIA) sont des références en matière de construction durable. Elles définissent des exigences précises pour garantir la qualité des bâtiments, tout en s’assurant que les pratiques respectent les règles de l’art. Cependant, leur application varie selon les contextes. Certains professionnels du bâtiment estiment qu’elles sont parfois trop théoriques et manquent de pragmatisme. 

Ces normes restent néanmoins essentielles pour concevoir des bâtiments plus durables, en particulier dans un environnement urbain en constante mutation. Les bâtiments doivent aujourd’hui être conçus pour minimiser leur impact environnemental et garantir une performance énergétique optimale sur le long terme. 

Comment la méthode DCF peut-elle être appliquée aux infrastructures urbaines ? 

La méthode DCF est utilisée souvent pour permettre de décider entre deux ou plusieurs variantes d’investissement en fonction des coûts unitaires et de la durée de vie théorique des infrastructures. L’évaluation vous dira, en bref, s’il vaut mieux investir CHF 1.00 dans des matériaux isolants assurant un coefficient thermique de 0.13 w/m2k dont la durée de vie est de 50 ans avec des coûts d’entretien annuel de 4 % de l’investissement, d’une part, ou CHF 1.00 dans des matériaux de performance moindre – 0.15 k/m2k par exemple – dont la durée de vie théorique est plus courte – 40 ans par exemple – mais dont les coûts d’entretien annuel sont de 3 %, d’autre part. Appliquée à la gestion urbaine, cette méthode peut aider à estimer la durée de vie des infrastructures et à anticiper les investissements nécessaires à leur renouvellement. 

Un exemple marquant est celui de la ville de Toronto, qui a utilisé cette méthode pour la gestion de ses infrastructures d’eau. Grâce à des spécialistes en math-finance, il a été possible d’anticiper les coûts de maintenance à long terme, bien que cette approche exige une expertise technique rare. Le DCF reste un outil puissant pour les projets urbains complexes, mais peu utilisé à grande échelle. 

Comment les infrastructures urbaines doivent-elles s’adapter aux exigences environnementales croissantes ? 

L’adaptation des infrastructures aux contraintes environnementales est cruciale pour les villes de demain. En Europe, le béton domine la construction, alors qu’en Amérique du Nord, notamment au Canada, l’ossature bois est privilégiée pour sa légèreté et sa rapidité d’assemblage et la facilité de réparation. Des projets comme la tour Brock Commons à Vancouver illustrent cette tendance. Le bois réduit les émissions de CO2 et accélère les chantiers tout en offrant une durabilité comparable au béton, ce qui pourrait encourager une adoption plus large de cette approche respectueuse de l’environnement.

Quels sont les défis juridiques pour les villes de demain ? 

L’un des plus grands défis juridiques pour les villes de demain sera de garantir que les exigences en matière de protection de l’environnement et de performance énergétique des bâtiments soient respectées. Il est essentiel de mettre en place des mécanismes de contrôle rigoureux, non seulement à la livraison des bâtiments, mais aussi tout au long de leur durée de vie. Sans cela, il sera difficile d’atteindre les objectifs fixés en matière de durabilité. En outre, des sanctions exemplaires doivent être appliquées en cas de fraude ou de violation des normes, afin de dissuader les acteurs du secteur de contourner les réglementations en vigueur. 

Texte Océane Ilunga